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Le mariage par la Fatiha, une pratique aux conséquences dramatiques
en Algérie
En Algérie, le mariage par la Fatiha sans aucune autre forme de légalisation
auprès des instances civiles officielles est depuis quelques années devenu le
recours pour bon nombre de couples. Ce phénomène prend des proportions
alarmantes au vu des conséquences engendrées par cette pratique souvent
malheureuse, voire dramatique.
Pour sceller leur union, certains couples se contentent aujourd’hui, d’une
lecture de la Fatiha en présence de deux témoins, au lieu de passer par la
voie légale, en l’occurrence un acte de mariage établi par la mairie
officialisant ainsi leur union. Si, par le passé, cette pratique, conforme aux
préceptes de l’Islam, était acceptée, mais surtout assumée par la société,
ce n’est pas le cas aujourd’hui. Autres temps, autres moeurs, les risques
qu’engendre cette pratique sont devenus de plus en plus réels. La société
connaît de grandes mutations tant sur le plan socioéconomique que sur le plan
des mentalités. Ces dernières, de nos jours, il faut bien en convenir,
malsaines dans beaucoup de situations, rendent ainsi nécessaire la
transcription obligatoire auprès des instances officielles, stipulent les
textes de loi, notamment le Code de la famille, qui explique que le mariage est
un acte de consentement mutuel pour fonder un foyer. Il est régi par les
articles 4 et 18 stipulant la nécessité de sceller cette union entre deux êtres
majeurs et consentants devant un notaire ou un officier de l’état civil.
Malheureusement, cette disposition n’a pas empêché les couples de recourir
au mariage par la seule et unique Fatiha en se limitant à la présence d’un
imam et de deux témoins, parfois eux-mêmes invités à cette liaison sans
aucun écrit, si la chose est conclue entre les deux couples sans la présence
de leurs parents. Mais dans le cas où ces derniers sont mis dans la confidence,
il y a lieu de constater la présence d’un taleb pour la lecture de la Fatiha
selon les préceptes de la religion musulmane rendant ainsi la relation des deux
êtres licite, un dîner comme offrande «laâcha taâ lahlal», sera suivi de
youyous pour annoncer l’union.
Le phénomène du mariage par la Fatiha, très en vogue dans notre société
ne préserve pas les droits de la femme, encore moins ceux des enfants, il est
assimilable à un vulgaire concubinage.
Et d’expliquer tout simplement: «Un homme qui s’unit à une femme par la
Fatiha peut se séparer d’elle, dans le meilleur des cas grâce à la même
Fatiha, avec la tranquille conviction de ne rien risquer. Pis encore, il peut
facilement partir et s’éclipser et laisser son épouse livrée à elle-même,
car il faut le noter, le taleb qui a scellé cette union n’a ni les moyens ni
les attributions légales pour veiller à sa pérennité. Cette situation rend
la tâche de la femme plus ardue pour faire reconnaître ce mariage.»
Des statistiques, recueillies auprès des instances en charge des affaires
relatives à la légalisation de mariages par la Fatiha, annoncent un record:
rien que pour les années 2007 et 2008 quelque 237 affaires pour la première et
412 pour la seconde, dont 50% ont été tranchées par la présence de témoins
et les talebs qui ont scellé ces unions, pendant que les autres affaires sont
toujours en cours.
Le mariage est prouvé par un extrait des registres de l’état civil. S’il
n’est pas transcrit, il peut être prouvé par une ordonnance du parquet,
comme il est stipulé par l’article 22 du Code de la famille. Les services de
l’état civil de la mairie de Annaba, qui accueillent chaque semaine des
centaines de victimes dans ces cas, enregistrent quelque 100 à 120 demandes de
reconnaissance de mariage, pendant que les tribunaux relevant de la
circonscription de la cour de Annaba continuent d’enrôler les affaires liées
à la reconnaissance de mariage par la Fatiha et à la reconnaissance de la
paternité, notamment au niveau du tribunal d’El Hadjar avec un taux de
quelque 7%.
Rencontrées dans les couloirs des tribunaux de Annaba, quelques femmes victimes
du mariage par la Fatiha se disent à l’unanimité, soucieuses pour l’avenir
de leurs enfants, qui sont en âge d’être scolarisés, mais ne peuvent accéder
aux bancs de l’école, faute d’un nom paternel. Djouhra, cette jeune maman
à la fleur de l’âge, traîne derrière elle une fillette de 5 ans, Aya, au
visage angélique, attend tout comme sa mère à ce que la justice l’aide à
porter le nom de son papa qu’elle n’a jamais connu. «Elle avait 15 mois
lorsque son père est parti sans jamais chercher à la voir», nous dira Djouhra
en expliquant les circonstances de son mariage par la Fatiha: «J’avais 27 ans
lorsque le père de ma fille est venu demander ma main à mon père, lui
expliquant que je serais la deuxième femme car il avait une première.» 11 ans
d’écart entre Djouhra et son mari qui a prétendu que sa première femme était
gravement malade et qu’elle était condamnée médicalement. «Il disait que
notre mariage par la Fatiha n’est qu’une affaire de temps, car il ne voulait
pas blesser sa femme pour le peu de temps qui lui restait à vivre. Mon père a
accepté, à condition qu’un acte soit établi par un notaire, et devra rester
en instance jusqu’à ce qu’il soit enregistré au niveau de l’état civil
au moment voulu.»
Malheureusement, ni la Fatiha ni l’acte de mariage établi par le notaire,
encore moins, la naissance de la petite Aya n’ont pu retenir le faux mari,
qui, après avoir vécu avec Djouhra 15 mois, a fini par quitter le domicile
conjugal qui était en location, sans le moindre mot ni trace.
Aujourd’hui, Aya a 5 ans et doit être inscrite en cours préparatoire, mais
il se trouve que la petite ne porte ni le nom de son père ni celui de sa mère.
C’est là un cas parmi tant d’autres, tous similaires dans la pratique, mais
pas dans les circonstances. Leur point commun est celui de faire reconnaître
leur union auprès des tribunaux, soit par la faute de l’entêtement du mari
soit à cause du parjure des témoins.
Même si certaines raisons sociales, religieuses, psychologiques ou matérielles
empêchent les nouveaux mariés d’officialiser leur union auprès des
instances publiques, l’apparition aujourd’hui de maladies comme le sida «impose
la sensibilisation des candidats au mariage sur la nécessité de se rapprocher
des services de l’état civil. Ces derniers exigent pour l’établissement
d’un acte de mariage un certificat médical de moins de 3 mois pour prouver
l’absence de facteur organique ou physique pouvant rendre incompatible
l’union des deux candidats au mariage», explique un avocat.
Quant aux raisons qui poussent les femmes mariées par la Fatiha à recourir à
la justice, c’est la naissance des enfants, ou pour régler une affaire de
succession ou d’héritage, explique maître N.CH. avocate agréée à la Cour
suprême tout en insistant sur l’officialisation du mariage pour préserver
les droits de la femme et des enfants en cas de divorce ou de décès de l’époux.
Du côté masculin, les hommes ayant contracté un mariage par la Fatiha sont de
plus en plus nombreux à refuser de reconnaître leurs enfants, encore moins
leur union, estimant que les femmes sont responsables de leur situation, en
acceptant dans un premier temps de se marier par la Fatiha, et de ne pas
enfanter. Une fois le mariage consommé, elles obligent l’homme à reconnaître
l’union et l’enfant; ce qui pousse ce dernier à partir. C’est pourquoi le
nombre d’hommes à procéder à la reconnaissance de ce genre d’union est très
réduit par rapport au nombre de femmes. C’est là des points de vue de différents
hommes interrogés sur la pratique du mariage par la Fatiha, qui, malgré
beaucoup d’efforts, est toujours appliquée.
En dépit des mesures rigoureuses prises par le ministère des Affaires
religieuses et des Wakfs, portant sur l’interdiction de la prononciation de la
Fatiha, avant d’avoir officialisé l’union par un acte de mariage établi
par les services de la mairie, puis présenté par les deux époux lors de la cérémonie
de la Fatiha, malheureusement, cette disposition n’a pas eu l’effet escompté
sur la pratique.
Et par conséquence, le phénomène, non seulement persiste, mais prend de plus
en plus d’ampleur dans la wilaya de Annaba où les cérémonies de la Fatiha
sont organisées dans un cadre strictement familial au domicile de la mariée.
En effet, nul ne peut contrôler tous les lieux où est pratiquée la Fatiha,
et la direction des affaires religieuses n’a pas encore reçu de plainte
faisant état d’un imam qui a prononcé la Fatiha sans avoir eu à vérifier
l’acte de mariage établi, au préalable, par la mairie. Par ailleurs, il
s’avère que la présence d’un imam dans une cérémonie de mariage par la
Fatiha, organisée dans un cadre très privé, n’est pas une exigence
religieuse, dans un contexte où nombre de citoyens croient, à tort bien sûr,
quiconque maîtrisant quelques versets coraniques est habilité à prononcer la
Fatiha pour les candidats au mariage, mais aussi pour les femmes répudiées et
renvoyées avec bagages et enfants, devenues des victimes emblématiques de
cette pratique, qui se sont vu regagner le domicile conjugal après qu’un tel
ait fait la lecture de la Fatiha et remarié les deux époux..., sachant
pertinemment que la religion est très stricte en ce qui concerne les femmes répudiées
notamment.
Mais puisque la Fatiha est sujette aux subterfuges, elle est aussi un stratagème
pour rendre licites certains péchés.
Très en vogue depuis quelques années, le concubinage est une pratique qui
permet à un couple de vivre ensemble sans être lié par les liens du mariage.
«Mouachara rair charia», dira un imam approché pour en savoir plus sur la
chose. L’homme de religion explique le phénomène du concubinage comme étant
l’un des plus grands péchés réprouvés par Dieu dans son livre sacré: «Toute
personne qui prétend au mariage doit se soumettre aux conditions édictées par
le Coran. Ces mêmes conditions sont rapportées par le Code de la famille». Il
citera, entre autres, la demande el khotba, la dot, les témoins et
l’officialisation de l’union par les services de l’état civil. «En
l’absence de ces éléments, la relation est considérée nulle et non avenue
et entre dans le cadre des plus grands péchés», a expliqué l’imam en
ajoutant: «Ainsi la religion musulmane considère les relations entre femmes et
hommes désirant fonder un foyer comme étant des plus nobles.
Hors cette optique, il n’y a pas lieu de parler de hallal et les versets
coraniques sont très clairs sur ce sujet.» Mais en dépit des interdictions
apportées par le Livre Sacré et imposées par les traditions arabo-musulmanes,
les couples ont bravé toutes interdictions en prétendant au mariage par la
Fatiha, qui selon certains, est lue par quelqu’un qui n’est pas habilité à
le faire, et pourrait être lui-même témoin de cet acte établi verbalement
entre le couple désireux de vivre ensemble sans être déclaré à l’état
civil, ce qui lui permettra de retrouver sa liberté à tout moment.
En effet, aujourd’hui beaucoup de couples vivant en concubinage se disent dans
une situation légale par le biais de la Fatiha. Mais est-ce que cette situation
est légale et vis-à-vis de qui? En toute vraisemblance, ce n’est pas vis-à-vis
de la religion, puisque conclusion faite, les quelques couples vivant en
concubinage font allusion plutôt à la société, estimant que chacun est libre
de vivre comme il veut et personne n’a un droit de regard sur l’autre. N.D.,
étudiante en médecine, vit depuis 3 ans avec son concubin T.F., cadre dans une
administration à Annaba, révèle: «Nous avons fait appel à un ami, il nous a
lu la Fatiha pour éviter que les voisins de l’immeuble ne nous agacent,
puisqu’on ne vit pas toujours ensemble, ainsi nous avons quelqu’un pour témoigner
de notre relation et donc on n’est pas dans le péché». Apostrophé sur
l’habilité de l’homme qui a scellé cette union, il s’avère être une
connaissance de son compagnon. En tout cas, le concubinage demeure cette
relation extra-conjugale passible de peine de prison et condamnée par la
religion qui la considère comme adultère.
Le mariage établi par la Fatiha demeure une pratique difficile à contenir pour
prouver une union, même si elle est établie selon les rites et pratiques de la
religion. Conséquence pour l’un comme pour l’autre, le parcours du
combattant pour faire valoir les droits aussi bien ceux de la femme que ceux des
enfants.
Par Wahida BAHRI, l'Expression
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