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paru dans La Croix du 09/02/2011
Ils sont catholiques et
divorcés...
Les catholiques
prennent au sérieux le lien du mariage ; sa rupture n’en est
que plus dure. Dans certains cas, il peut y avoir «
reconnaissance de nullité » d’une union par un tribunal ecclésiastique
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On connaît la courbe, ou plutôt la flèche des chiffres : 30
divorces pour 100 mariages en 1985, 38 en 2000, 45 en 2008. Les
baptisés catholiques n’échappent évidemment pas à ces évolutions
générales : ils vivent dans la même société, sont imprégnés
de la même culture, et soumis aux mêmes difficultés que
l’ensemble des couples.
Anne Lannegrace, psychanalyste, et directrice du département
famille de la Conférence des évêques de France, nuance : « Je
pensais qu’en matière de divorce, les comportements des
catholiques étaient identiques aux autres. Mais deux études récentes
apportent quelques précisions ; la première constate que les
pratiquants se marient un peu plus souvent que la moyenne des Français,
et divorcent aussi un peu moins souvent ; et la seconde met en évidence
un taux de divorce plus faible dans les départements de tradition
catholique, où il y a une forte présence de l’enseignement
privé catholique. »
Et Anne Lannegrace de sourire : « Voilà un coup de chapeau à
l’éducation catholique qui n’est pas si fréquent ! » Elle
attribue cette petite différence « peut-être à la valeur
structurante de la préparation au mariage, qui accompagne toutes
les célébrations religieuses, et qui est souvent bien faite ».
Et, pourtant, elle s’interroge : « Aussi bien la société
civile que l’institution religieuse ont du mal à assurer le
suivi, la pédagogie de l’engagement. Parce que la conception de
l’amour a changé, le rapport au bonheur et à la souffrance
aussi, on n’accepte plus d’être malheureux en amour. Les
crises de couple, inévitables, aboutissent à des séparations.
Il faut mieux accompagner ces difficultés. »
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"C’est un échec profond, un véritable séisme, une
remise en cause de toute la personne"
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Nombre de paroisses, et d’associations comme le Cler,
Vivre et Aimer, les parcours
de couples Alpha s’y emploient de plus en plus (1). Lionel
Dewavrin, jeune prêtre du Nord, renchérit : « Rien ne prépare
à un tel engagement, pour quarante ou cinquante ans. Et peu de
gens savent vraiment en quoi, ou surtout en qui ils croient. Pour
un pourcentage non négligeable des mariages que je célèbre, je
me pose la question de leur validité. »
Si le mariage sacramentel a une valeur particulière pour les
catholiques, le divorce en est d’autant plus douloureux. Le P.
Guy de Lachaux, du diocèse d’Évry, accompagne des groupes de
divorcés depuis plus de vingt ans : « En principe,
remarque-t-il, il n’y a aucune raison théologique pour qu’ils
s’éloignent de l’Église. Et pourtant, dans la réalité,
face à celle-ci, qui exprime haut et fort l’idéal du mariage,
les divorcés éprouvent un tel sentiment de culpabilité, de
honte, que c’est bien souvent le cas. Comme cet ami qui me
disait : “Je ne peux plus passer le seuil d’une église”, ou
cette jeune mère qui se demandait si elle avait le droit
d’accompagner sa fille au catéchisme. La communauté chrétienne
ne perçoit pas toujours la souffrance des divorcés ; c’est un
échec profond, un véritable séisme, une remise en cause de
toute la personne. »
Avec l’augmentation des divorces, et des divorces précoces –
le pic se situe autour de la cinquième année de mariage –,
l’un et l’autre souvent « refont leur vie ». Se pose alors
la question de l’exclusion des sacrements (communion et
absolution) pour les divorcés civilement remariés. Y compris
pour ceux qui ont le sentiment de n’avoir « rien fait de mal »
: la jeune fille, par exemple, qui découvre qu’elle ne peut pas
se marier à l’église, parce que son futur conjoint est divorcé,
ou celui qui reconstruit un couple après un abandon.
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Les divorcés remariés se croient souvent excommuniés
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« Alors, beaucoup s’en vont définitivement, poursuit Guy de
Lachaux : même si ce n’est pas le discours de l’Église, les
divorcés remariés, parce qu’ils ne peuvent pas recevoir les
sacrements, se croient souvent excommuniés, au sens propre du
terme, c’est-à-dire hors de la communauté des chrétiens. Le
regard des autres n’y est pas non plus toujours bienveillant :
j’ai l’exemple de ce couple à qui on a refusé de
s’inscrire à un pèlerinage ; ou de cette femme priée de ne
plus animer les chants… »
Ce sujet des divorcés remariés est épineux pour l’Église
catholique. Celle-ci voudrait manifester des signes de miséricorde
plutôt que de jugement ou d’exclusion. Tout en défendant le
principe de l’indissolubilité du mariage : « Ce que Dieu a
uni, que l’homme ne le sépare pas » (Évangile de Marc 10, 9).
Si l’Église prend au sérieux le lien du mariage, elle encadre
aussi les conditions dans lesquelles est pris l’engagement. Il
existe une procédure, appelée souvent à tort « annulation du
mariage », ce qui fait grincer beaucoup de dents.
« Comment peut-on annuler ce qui a existé durant plusieurs années,
et d’où sont issus parfois des enfants ? » Mgr Augustin Roméro,
official de Paris et d’Île-de-France, c’est-à-dire président
du tribunal ecclésiastique chargé de juger les litiges dans l’Église,
explique : « Il s’agit d’une “reconnaissance de nullité”
du mariage, lorsqu’un mariage a été célébré sans que les
conditions du droit canon soient réunies ».
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En France, moins de 1 000 dossiers sont instruits chaque année
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Et il ajoute : « Nous sommes là pour accueillir tous ceux qui
sont en souffrance… Si nous pouvons trouver une raison
d’invalider leur mariage, cela pourrait leur permettre de régulariser
leur nouvelle union éventuelle, et aussi d’accéder aux
sacrements. » Mgr Roméro constate aussi que le nombre de
demandes de « reconnaissance en nullité » augmente : « On peut
penser que beaucoup de mariages pourraient être reconnus nuls, si
la démarche était mieux connue. » En France, moins de 1 000
dossiers sont instruits chaque année, pour environ 3 000 en
Italie, 35 000 aux États-Unis, 60 000 pour le monde entier.
Jacques Wecxsteen, conseiller conjugal à Douai et en même temps
juge à l’officialité du diocèse d’Arras, rencontre ceux qui
se posent la question de cette démarche. « Ce sont des personnes
de tous âges, dit-il, et dont le mariage a eu des durées très
diverses. Aussi bien des hommes que des femmes (alors que les
femmes sont majoritaires à demander le divorce), et cela va
largement au-delà du cercle des pratiquants réguliers. Il y a
bien sûr ceux qui viennent au moment de refaire leur vie.
D’autres sont remariés civilement depuis longtemps, ont des
enfants ensemble, et, par exemple, au moment de la première
communion de l’un d’eux, voudraient bien l’accompagner. Cela
peut être aussi des personnes qui, après un divorce difficile,
souhaitent clarifier ce qui s’est passé. Ou encore des gens
d’un certain âge, ayant mené des vies compliquées, qui
veulent se “mettre au propre” avant de partir.
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"Pour eux, le mariage est indissoluble, mais la miséricorde
de Dieu prime"
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Parfois, des parents attendent que leurs enfants soient adultes
pour faire la démarche. Les communautés nouvelles encouragent
beaucoup les couples à l’effectuer. » Les principaux motifs évoqués
? Jacques Wecx steen les a recensés : « Le manque de conscience
des engagements du mariage, les maladies psychiques, l’alcool,
la drogue et les violences, les infidélités graves,
l’homosexualité, les mariages obligés… » Mais il est le
premier à reconnaître que « cela ne concernera jamais tout le
monde, et ne résout pas toutes les situations ».
Guy de Lachaux plaide donc plus largement pour que les catholiques
s’inspirent des pratiques de l’orthodoxie : « Pour eux, le
mariage est indissoluble, mais la miséricorde de Dieu prime. Ils
acceptent donc, après un chemin de réconciliation, un remariage
à l’Église. Personne n’a les solutions, il faut accepter de
chercher, assumer le bel héritage du passé, qui nous met
aujourd’hui dans une position difficile. »
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Guillemette DE LA BORIE |
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